Carrefours Jacquaires en Armorique

Bateau avec pèlerins

Au Moyen-âge chaque pèlerin partait de chez lui par un sentier de terre, seul ou en groupe, à pied, à cheval ou en charrette selon ses moyens, qu’il parte pour un pèlerinage lointain (Jérusalem, Rome, Compostelle) ou local (Mont-Saint-Michel, Tro-Breiz, Saint-Méen,…).
Il rejoignait alors un port d’embarquement ou se rapprochait de voies plus praticables : routes à grande circulation ou chemins empierrés et empruntés par tous, marchands, étudiants, religieux, voyageurs.
La route suivie variait selon les aléas de l’époque. De ce fait, les chemins empruntés par les pèlerins étaient multiples et variés, par contre, leurs points de convergence sont logiquement plus restreints.(1)
Ce sont ces endroits stratégiques de l‘Armorique où les jacquets pouvaient se retrouver en grand nombre qu’il serait intéressant de rechercher. Malheureusement, les rares écrits de cette période qui nous sont parvenus concernent quelques nobles seigneurs mais rien relatif à la foule des roturiers. Pour les identifier nous devons donc nous appuyer sur d’autres indices tels :

  • les routes bien fréquentées : restes de voies romaines, routes monastiques, chemin du Tro-Breiz, du pèlerinage de Saint-Méen.
  • les différents établissements d’accueil : Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, abbayes, aumôneries, prieurés, maladreries, chapelles … et aussi les auberges pour les plus riches.
  • les endroits où l’on rencontre le culte de saint Jacques associé à celui de saint Eutrope. Selon R.Couffon, il n’est pas étonnant de rencontrer sa présence fréquente en Bretagne, compte tenu de la tradition disant que les pèlerins bretons allaient à Saintes par la mer pour en repartir par terre ou par mer.(2)

Il est possible de s’appuyer également sur un autre outil intéressant, mais avec prudence : la toponymie des lieux en recherchant : (3)

  • des termes jacquaires : saint Jacques , saint Jacob, saint James ( forme anglicisée de Jacques).
  • des termes de traces du rituel jacquaire : tels « Mané Salut, Montagne du Salut, Croix du Salut, Roc’h ar Zalud, Plas ar Zalud… » annonçant l’arrivée prochaine au sanctuaire. (4)
  • des termes relatifs aux hébergements possibles :
    • L’Hôpital ou Ospital désignant un établissement ancien créé par l’ordre des Hospitaliers de saint Jean et voué au service des voyageurs, pèlerins et malades ; rencontré aussi sous la forme L’Houspitalou en Plouzané, Hôpital-Pell en Lanmaur, Pont-L’hôpital en Ploumoguer.
    • Le Moustoir à Elliant,Saint-Evarzec, le Mouster à Plouezec, Plouider...indiquant la présence de moines.
    • La Maladredie, la Madeleine … relatif aux léproseries. (5)
    • Les noms en «lok», presque tous situés en Basse-Bretagne qui apparaissent à partir du XIème siècle Locminé = lieu des moines ; Lockrist, Lokeltas, Lokénolé qui sont en relation avec l’ordre du Temple.

Ce faisceau d’indices, nous permet de mieux appréhender les carrefours jacquaires probables.
Nous pouvons déjà remarquer que les églises ou chapelles au nom de saint Jacques sont situées en majorité sur la bande côtière, aussi bien au nord qu’au sud tels:
Dol, Le Vivier, Dinan, Saint-Malo, Tréguier, L’AberWrac‘h, Le Conquet, Pointe Saint-Mathieu, Landerneau, Pouldavid, Penmarc’h, Quimper, Le Pouldu, Hennebont, Vannes, Saint-Jacques (Sarzeau), La Roche Bernard, (Rieux-Redon, Le Croisic, Guérande, Nantes.
C’étaient des carrefours pour les pèlerins anglais ou germaniques d’où ils embarquaient ainsi que pour des pèlerins bretons allant vers Saintes (où se trouvaient les reliques de saint Eutrope) ou La Corogne.
Carte Roudier
D’autres optaient sans doute pour un voyage mixte, mer et terre par crainte des dangers de l’océan ou par goût pour «les rencontres, les communions des foules aux grands sanctuaires, les échanges de contes de chansons et de danses aux gîtes d’étapes» (Pierre-Jakes Hélias).
Faute de place et de temps pour mener à bien une étude plus ample, nous nous intéresserons à l’axe Quimper-Nantes, correspondant à une ancienne voie romaine.

Quimper

Dans cette cité, il y avait :

  • une aumônerie des Hospitaliers où se regroupaient les pèlerins venant de la pointe de Saint-Mathieu, d’Audierne et du pays bigouden, Penmarc’h, etc… faisant ensuite route commune vers le relais templier Sainte-Anne du Petit Guelen à l’est de Quimper.
  • une commanderie des Templiers (6) dont la Maison portait le nom de Temple. La chapelle de la commanderie se trouvait sur le quai, au coin de la rue Vis actuelle. (7)
  • 5 hôpitaux : L’Hôtel-Dieu, l’hospice Sainte-Catherine, les hôpitaux Saint-Antoine, Saint-Yves et Saint-Julien.

Quimperlé:

A l’entrée de cette cité située sur la voie romaine et sur le chemin des Sept-Saints se trouve l’hôpital Frémeur ; c’était un hôpital-hospice dont la chapelle est dédiée à saint Eutrope .(8)
St Eutrope Quimperle
En 1434 fut instituée une célèbre foire le jour de la saint Jacques sise probablement au lieu-dit Saint-Jalmes.

Doelan-Moëlan :

  • Au Moyen-âge Doélan, un port plus important que celui de Quimperlé, avait une chapelle Saint-Eutrope ; de là on embarquait probablement pour Saintes et La Corogne (Saint-Jacques de Compostelle).(9)
  • A Clohars-Carnoët existe une chapelle Saint Jacques et, entre ces 2 bourgs, un lieu-dit «Kersalut».

Tout près, sur les bords de la Laïta, se trouve l’abbaye Saint-Maurice de Carnoët. (10)

Brec’h :

Selon Pierre-Jakes Hélias, c’est le grand carrefour jacquaire du pays bretonnant des pèlerins du Morbihan allant à Compostelle qu’il qualifie de «grand rendez-vous des Bas Bretons».
Une chapelle Saint-Jacques (1464) et sa fontaine sont situées à la sortie est du bourg avant le pont Brec’h. (11).

Région de Vannes :

Grand port de Bretagne dès le XIIème siècle, seule trace aujourd’hui : une rue Saint-Jacques .(12)
Dans la presqu’île de Rhuys, les Templiers avaient fondé un prieuré Saint-Jacques à la Pointe-Saint-Jacques où le duc Jean II s’est rendu en pèlerinage en 1305, les Trinitaires s’y sont installés ensuite. Alentour, les lieux–dits au nom de Saint-Jacques sont légion : baie Saint-Jacques, plateau de Saint-Jacques, Grée Saint-Jacques, port Saint-Jacques, etc… : J. Roudier en cite 11. Qui oserait affirmer qu’il n’y a jamais eu de départ de pèlerin de cet endroit ?
Sarzeau Templiers

Rieux-Fégréac-Redon :

Fin XII ème , un prieuré au nom de saint Jacques fut fondé au profit des Trinitaires. En 1345, un couvent des Trinitaires s’installe à Rieux.
A Rieux-Fégréac, il existait 3 chapelles Saint-Jacques, desservies par le couvent des Trinitaires.(13)
Il existe un lieu-dit Saint-Jacob à l’orée de la Forêt Neuve et un lieu-dit Saint-Eutrope au sud de Peillac.

Nantes :

2 commanderies y ont existé : Le Temple Sainte-Catherine pour les Templiers et l’Hôpital Saint-Jean pour les Hospitaliers.
En Armorique, Nantes était le port le plus fréquenté pour le voyage par mer, mais ce n’était pas le seul de la région. Il y avait aussi des départs du port du Pellerin situé près de 4 possibilités d’hébergements : le prieuré de Marmoutiers, les aumôneries de Saint-Antoine et de Saint-Nicolas et la léproserie de la Madeleine.
Mais Nantes était aussi l’endroit le plus fréquenté pour le pèlerinage terrestre et, début XI ème, le pèlerinage breton est assez développé pour nécessiter la construction d’hospices pour les pèlerins de Saint-Jacques à Nantes, La Roche-Bernard et même Rennes.
En 1037 fut construit un hôpital dans le faubourg de Pirmil, puis, un autre en 1362. (14)
En conclusion, ce texte ne clôt pas le thème des carrefours jacquaires. Ainsi qu’il a été dit, la difficulté essentielle pour traiter ce sujet réside dans la rareté des documents concernant les cheminements des pèlerins «ordinaires». Les éléments recueillis laissent cependant supposer que des rassemblements existaient. L’approche topographique se révèle intéressante et mérite d’être approfondie, élargie à toute l’Armorique et toutes recherches restent ouvertes.

Précisions :

  1. Nombreux aléas de l’époque : guerres, épidémies obligeant à des détours, la météo (routes inondées, boueuses, impraticables), l’ouverture de nouvelles routes, les possibilités offertes : gués, bacs ou ponts pour traverser les rivières et aussi les reliques à vénérer qui exerçaient un attrait puissant sur les Bretons comme sur leurs contemporains, mais surtout suivant les lieux de soin et d’hébergements plus ou moins confortables
  2. Association des cultes de saint Eutrope et saint Jacques : En effet, selon R.Couffon, il n’est pas surprenant de rencontrer sa présence fréquente en Bretagne si l’on tient compte de la tradition qui dit que les pèlerins bretons se rendaient à Saintes par la mer et ensuite en repartaient soit par terre soit par mer. Ils avaient une double raison de s’y arrêter : pour prier sur la tombe de saint Eutrope et aussi parce que saint Malo y est décédé et que les habitants de Saintes ont construit l’église saint Macout sur son tombeau qui est devenu un lieu important de pèlerinage.
  3. Toponymie, outil à manier avec prudence : Un exemple parmi d’autres, celui du quartier Dourjacq à Brest où se trouve une église Saint-Jacques. Ce toponyme, Dourjacq est aujourd’hui traduit à tort, par l’étang de Jacques alors que le sens ancien était celui de marécage. Le nom ancien, orthographié « dourchag » soit dour = eau, ruisseau et chag = croupi, stagnant, pour désigner ce lieu correspondait à une étendue d’eau stagnante. Lors de la transcription orale, il y a eu une erreur d’orthographe expliquant le changement de sens.
  4. Rituel du salut jacquaire : « Mané Salut, Montagne du Salut à Hennebont, Croix du Salut, Roc’h ar Zalud au Relecq, Plas ar Zalud à sainte-Marie-du-Menez-Hom,… » annonçant l’arrivée prochaine au sanctuaire. A ces endroits, les pèlerins s’arrêtaient, se signaient et disaient une prière comme les pèlerins parvenus au Monte del Gozo entonnaient l’Ultreïa en apercevant la cathédrale de Santiago. A noter que le mot « salut» a aussi en ancien français les sens de « sauvegarde » et «santé».
  5. La Maladrerie : terme noté jadis « maladerie » sur les cartes de Cassini car dérivant directement du mot « malade », il en existait plus de 200 au XI ème siècle qui furent converties en hôpitaux par la suite et saint Jacques a été le patron de certaines : Saint-Jacques de Pannecé (44), Saint-Jacques d’Ambronay et de Douvres (Ain) étaient des maladreries. On les appelait aussi ladrerie, lazaria du latin « lazarus » , en français « ladre » est synonyme de lépreux. La Madeleine : nom attribué à la chapelle de cet établissement à laquelle on ne donnait jamais le nom de sainte.
  6. Temple Quimper
  7. QUIMPER, commanderie des Templiers : C’était la demeure primitive des commandeurs. Elle était située « sur le quay, en la « Terre-au-Duc ». Sa chapelle dédiée à saint Jean-Baptiste se trouvait à l’angle du quai et de la rue Vis. On y honorait un reliquaire « en forme de teste d’homme en bois doré, renfermant des reliques du précieux corps de saint Jean-Baptiste ». C’est par un acte du cartulaire de la cathédrale de saint Corentin que nous avons la certitude que, à partir de 1239, Quimper possédait un hôpital même si celui-ci devait avoir existé bien avant. Il était appelé Domus Dei (Hôtel-Dieu) et c’était sans doute le seul aux XIIème et XIIIème siècles. Par la suite, 4 établissements hospitaliers se sont créés : Sainte-Catherine dont une partie des bâtiments existe toujours, occupés par la Préfecture ; Saint-Antoine, place Mesgloaguen a été transformé en maison d’arrêt à la Révolution et aujourd’hui il abrite le service territorial de l’architecture et du patrimoine du Finistère ; Saint-Yves au N.O de la ville, près du manoir des Salles ; Saint-Julien, dont les dépendances s’étendaient jusqu’à la gare actuelle
  8. QUIMPERLE, hôpital Frémeur : C’était un hôpital-hospice datant probablement au XIV ème siècle, succédant à une léproserie. Il était établi à la limite de cette ville comme c’était d’usage à l’époque, pour pouvoir recevoir passants et pèlerins de jour comme de nuit, arrivant après la fermeture des portes et aussi, pour éviter les risques de propagation de maladies souvent épidémiques avec une population très entassée en ville. De plus, il était situé près d’un ruisseau au courant rapide (froud = torrent et meur = grand, important) indispensable à l’hygiène ; sa chapelle, dédiée à saint Eutrope, dont on ouvrait les portes et la fenêtre à la croisée du transept permettant ainsi aux malades d’ « entendre la messe ».
  9. DOELAN-MOELAN : Au XIIème siècle, au sud de Moëlan, les Templiers ont installé une aumônerie à Brigneau et une léproserie à Kerglien. A Clohars-Carnoët, la chapelle date du XVIIème siècle et remplace une chapelle primitive qui était dédiée à saint Gurloes, comme la fontaine située à proximité. Elle fut chapelle paroissiale en 1789 sous le vocable de saint Jacques. L’abbaye Saint-Maurice fut fondée vers l’an 1177, à la lisière sud de la forêt de Carnoët.
  10. St Maurice salle capitulaire
  11. Brech chapelle St Jacques
  12. VANNES : Dès le XII ème siècle, Vannes est désignée par un géographe arabe comme étant l’un des plus grands ports de Bretagne et, selon Froissart, « par vent favorable, une flottille de 3 navires met en 1343, 2 jours et 2 nuits au départ de Vannes pour rejoindre Plymouth». A la sortie ouest de la ville en direction de Brec’h se trouvait une chapelle de la Madeleine.
  13. RIEUX-FEGREAC-REDON : La chapelle Saint-Jacques de Fégréac était située à l’extrémité de la voie romaine venant de Bain près d’un pont de bois à péage qui avait remplacé l’antique gué. A Rieux, une des chapelles avec aumônerie, située en Peillac jouxtait le pont d’Oust, l’autre était en Glénac, près de la Forêt Neuve. A Redon, plusieurs toponymes jacquaires : le quai Saint-Jacques point de convergence de nombreux chemins en direction de Nantes et sur ce quai, la « maison Saint-Jacques » portant l’inscription « ANCIENNE MAISON SAINT-JACQUES REBATIE EN 1836 ».
  14. NANTES : Faubourg de Pirmil, en 1037, hors les murs de Nantes pour éviter les épidémies, Charles de Blois fonda sur une chaussée très fréquentée, celle des ponts de Nantes, l’aumônerie des Toussaints. Par un aveu rendu au roi en 1629, nous savons qu’elle se composait de: « une église avec cimetière, hôpital et Hôtel-Dieu pour loger et héberger les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle et de Saint-Méen, allant et retournant de leur voyage ».

BIBLIOGRAPHIE :

  1. COUFFON.R – Notes sur les cultes de saint Jacques et de saint Eutrope en Bretagne(…)/ Bulletin d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 1968, Tome XLVIII.
  2. PROVOST.G - La Fête et le sacré, pardons et pèlerinages en Bretagne (XVIème et XVIIème siècles)
  3. RIO.B- Les pèlerons bretons de Saint-Jacques.
  4. ROUDIER.J - Par terre et par mer, les pèlerins bretons à Compostelle-Editions Label LN.
  5. TANGUY.B - Dictionnaire des communes du Finistère .Chasse-Marée.
  6. FARDET.J - Les Maisons-Dieu sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle.Univ.Nantes /1964-1965.
  7. Sites internet : gallica.bnf.fr ; infobretagne.com ; patrimoine-bzh